Confusion de langue entre les adultes et l’enfant - Sándor Ferenczi
Sándor Ferenczi, éminent psychanalyste hongrois du XXe siècle, a profondément marqué l’évolution de la psychanalyse par l’originalité et la portée de ses travaux, notamment avec son texte pionnier « Confusion de langue entre les adultes et l’enfant » (1933). Dans ce texte, il met en lumière avec une précision clinique comment les enfants victimes d’abus sexuels se retrouvent en proie à une « confusion de langue » pernicieuse, puisque cherchant instinctivement amour et protection auprès des figures adultes. Ils sont confrontés à des sollicitations inappropriées, où les désirs sexuels des adultes s’intrigent tragiquement avec leurs propres besoins affectifs, induisant un profond conflit interne qui pave la voie à un trauma psychique durable et complexe.
Concept de Traumatisme d'identification
Dans un élan de perspicacité clinique, Ferenczi, avec une audace intellectuelle qui le distingue de ses contemporains, introduit le concept révolutionnaire de « traumatisme d’identification », une notion complexe où l’enfant, plongé dans un abîme de confusion et de douleur, s’identifie involontairement à l’agresseur dans une tentative désespérée de comprendre et d’assimiler l’expérience traumatisante. Il est un des rares à critiquer vigoureusement la tendance de la psychanalyse de son époque, à minimiser ou à ignorer la réalité tangible de l’abus subi par l’enfant, souvent relégué au rang de pure fantaisie par des analystes peu enclins à reconnaître la véracité des récits d’horreur rapportés par leurs patients. Les psychanalystes contemporains doivent reconnaître ces dynamiques pour mieux traiter leurs patients.
Ferenczi, dans son ouvrage Confusion de langue entre les adultes et l’enfant est profondément éclairant et parfois dérangeant. Il souligne avec un poids de vérité glaçant que, bien loin de l’image d’Epinal d’intégrité inébranlable souvent attribuée aux familles émérites et ancrées dans des valeurs puritaines, il se révèle, avec une fréquence bien plus alarmante que la discrétion sociale ne le laisse entrevoir, que même au sein de ces cercles réputés pour leur rigueur morale, les enfants, dans leur vulnérabilité la plus criante, se trouvent être non seulement exposés mais aussi les victimes silencieuses de violences physiques et de sévices sexuels. Souvent, ces services sont perpétrés non pas par de lointains étrangers à l’allure menaçante, mais, avec un perfide dévoiement de la confiance et de l’autorité, par des figures parentales — pères, mères, oncles ou cousins — ou encore par d’autres figures familières et apparemment bienveillantes telles que les amis de la famille, les voisins ou les employés de maison. Certains individus sous couvert de leur proximité et de leur familiarité, exploitent de manière écœurante la naïveté et l’innocence de ces jeunes êtres pour assouvir leurs pulsions les plus inavouables. C’est une sombre réalité que Ferenczi dévoile sans détour, poussant à une remise en question inévitable des présupposés d’une protection intrinsèque au sein des noyaux familiaux même supposément vertueux. Les abus sexuels touchent toutes les catégories sociales, et les psychanalystes doivent être particulièrement vigilants face à cette réalité.
Quand l’adulte séduit un enfant, cela fait trauma
Dans son analyse éclairante, Ferenczi explique avec une acuité remarquable que l’adulte, en usant de son ascendant pour séduire un enfant innocent, exerce une forme de violence psychologique insidieuse et particulièrement pernicieuse. L’adulte peu scrupuleux insinue profondément dans la psyché de la jeune victime, cette transgression des limites éthiques et morales, ce qui provoque un traumatisme. Cette provocation instaure une confusion déstabilisante de positionnement et d’interprétation dans l’esprit de l’enfant, lequel, dépourvu des outils cognitifs et émotionnels nécessaires pour décrypter et repousser cette intrusion, se retrouve pris au piège dans une toile de manipulation malsaine, tissée avec la seule intention de corrompre son innocence et d’assouvir les pulsions sexuelles dévoyées de l’adulte prédateur. Travailler avec un psychanalyste formé à ces situations est crucial.
Il est important de noter que Ferenczi met en lumière la « prématuration psychique » des enfants face aux comportements abusifs des adultes, un concept décrivant comment l’enfant est contraint de mûrir prématurément pour faire face à des sollicitations auxquelles il n’est pas préparé. Cette précocité forcée accentue le trauma et complique encore davantage le processus de guérison, nécessitant un travail approfondi et une approche empathique en psychanalyse.
La manipulation d'un adulte sur un enfant
L’adulte, usant de manière perverse de son autorité et de sa position de confiance, contraint l’enfant, dont l’innocence est bafouée, à endosser un rôle sexuel pour lequel il n’est ni prêt à comprendre les implications, ni psychologiquement équipé pour y répondre. Cette confusion provoque ainsi un traumatisme profond ; l’enfant, pris au piège dans un tourbillon de sentiments contradictoires, oscillant entre l’affection qu’il porte naturellement à l’adulte et la répulsion face à la perversion de cet amour par un langage et des actes malsains. L’enfant se voit contraint de refouler une partie de ses émotions, celles-ci étant submergées par la sidération et la peur d’un adulte devenu insondable et menaçant, et dans cet état de grande vulnérabilité, tant physique que psychologique, sa personnalité encore en gestation le rend incapable de formuler, même en son for intérieur, la moindre résistance ou opposition. La terreur le réduit à un silence oppressant, parfois jusqu’à le plonger dans un état proche de l’inconscience, où, face à l’effroi insurmontable, l’enfant n’a d’autre recours que de se replier sur un comportement de soumission instinctive, un réflexe de survie face à l’indicible. Il devient alors crucial de consulter un psychanalyste spécialisé pour aborder de tels traumatismes.
Ferenczi, dans l’éclairage subtil de son analyse psychanalytique, observe avec une acuité poignante que « les enfants, prisonniers d’une vulnérabilité tant physique que morale – leur personnalité encore en germe trop frêle pour esquisser la moindre protestation, ne serait-ce qu’en pensée –, se trouvent anéantis face à la puissance implacable et l’autorité tyrannique des adultes. Cette domination les plonge dans un mutisme abyssal, voire les amène à une perte de conscience aiguë. Mais cette peur, quand elle déferle jusqu’à son paroxysme, les contraint à une soumission presque machinale à la volonté du bourreau, à l’anticipation fébrile de ses moindres désirs, à une obéissance qui s’annihile dans l’abnégation totale de soi, jusqu’à une identification complète, fusionnelle, à l’agresseur. »
Les conséquences des traumatismes sexuels sur les enfants.
Cette expérience traumatique, souvent minimisée ou négligée par l’entourage de l’enfant, peut induire des séquelles indélébiles à long terme, telles que des troubles profonds de l’attachement, une quête douloureuse de l’identité et des perturbations marquées de la sexualité, et c’est en écho à cette problématique que Ferenczi, avec une perspicacité clinique avant-gardiste, insiste sur l’impératif de reconnaître la réalité du vécu traumatique de l’enfant. Il est important d’aménager un espace thérapeutique sécurisant et bienveillant pour travailler sur le trauma. Ferenczi met ainsi en lumière la nécessité d’un changement nécessaire dans l’approche clinique, qui se doit d’être empreinte d’une plus grande empathie et d’une validation sans faille des sentiments et expériences de l’enfant pour favoriser sa résilience et sa guérison. Une consultation spécialisée en psychanalyse peut grandement aider dans ce processus.
Conclusion
Au sein du paysage psychanalytique du vingtième siècle, Sándor Ferenczi se distingue par ses apports notables, dont le texte « Confusion de langue entre les adultes et l’enfant », publié en 1933, occupe une place de choix. Ferenczi y analyse avec sincérité et rigueur les souffrances des enfants victimes d’abus sexuels. Il y décrit un phénomène qu’il nomme « confusion de langue », se caractérisant par un heurt traumatisant entre les besoins affectifs des enfants et les désirs sexuels des adultes. Ce choc des intentions engendre un traumatisme psychique profond et persistant. L’auteur introduit ainsi le concept de « traumatisme d’identification », illustrant la détresse de l’enfant qui, dans un effort désespéré de compréhension, s’identifie à son agresseur. Ferenczi porte un regard critique sur les attitudes contemporaines, souvent enclines à sous-estimer ou à méconnaître l’ampleur réelle des abus, fréquemment relégués au rang de fantaisies enfantines. Au travers de ses écrits, Ferenczi met en évidence la prévalence insoupçonnée des abus sexuels sur mineurs, y compris au sein des foyers prônant des valeurs puritaines. Il dénonce les agressions, fréquemment orchestrées par des individus au sein même du cercle familial, qui profitent de la vulnérabilité de l’enfance. Ferenczi plaide pour une prise en charge clinique empreinte d’empathie, qui reconnaît et valide les émotions et expériences des jeunes victimes, afin de leur permettre de se reconstruire. Une approche psychothérapeutique rigoureuse et empathique est donc essentielle.